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Oxfam-Magasins du monde

Alura Amara, partenaire indonésien d’artisanat équitable

Analyses
Alura Amara, partenaire indonésien d’artisanat équitable

En 2009, à l’occasion d’une mission en Indonésie [[highslide](1;1;;;)Mission conjointe d’Oxfam-Magasins du monde, Vêtements propres et de syndicats dans le cadre de la campagne Meilleur marché qui a permis de témoigner des conditions de travail dans le secteur de l’habillement et des pratiques d’entreprises, notamment de la grande distribution. Cette mission a notamment permis la réalisation du reportage « Pour un Meilleur marché » utilisé lors de plusieurs ciné-débats.[/highslide]] , nous avons pu partager 48 heures de la vie de l’organisation Alura Amara, partenaire qui produit des jouets en bois. Voici, en mots et en images, une présentation du projet porté par cette communauté d’artisans.

Historique

A l’issue de leurs études de design à l’Université de Bandung, en 1994, deux jeunes indonésiens ont démarré un projet d’artisanat avec un objectif de création d’emplois en zone rurale, où règne un haut taux de chômage et des problèmes sociaux. Une manière de lutter contre le fléau que représente l’exode rural (notamment vers Jakarta, ville de plus de 13 millions d’habitants). En juillet 1995 a donc commencé la structuration d’un groupe indépendant de producteurs, appelé Undaghi, « les menuisiers ». En mars 1997 a été créé Aruna Arutala, pour donner une entité juridique à l’activité de design et d’exportation. En 2007, elle a pris le nom d’Alura Amara, notamment dans la perspective de prendre le statut de coopérative.

Les objectifs d’Alura Amara

Ainsi s’exprime leur vision : il s’agit de mobiliser les ruraux marginalisés pour une activité économique qui soit aussi un moyen de transformation et de libération personnelles. Chacun doit s’efforcer d’être debout et conscient, de prendre son destin en main, d’être fiers de ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Le projet vise essentiellement à rendre les artisans autonomes, en leur offrant un emploi et un salaire décent, une formation technique, et en contribuant à leur éducation citoyenne.
Alura Amara est une communauté de travailleurs. Ils ne sont pas considérés comme des employés. Notre visite a confirmé que c’est réellement ainsi que se vit le projet au quotidien. Contrairement à d’autres partenaires aux artisans aux lieux de travail dispersés, ici, les artisans se retrouvent tous ensemble dans un même lieu, ce qui favorise une appartenance forte au projet !

Organisation

La communauté compte 43 artisans (17 hommes et 26 femmes). Beaucoup sont jeunes (le plus jeune a 19 ans et le plus vieux 44 ans). Il y a une grande stabilité, seuls 7 membres sur 43 ont moins de 10 ans de présence dans la communauté. Les nouveaux membres suivent une « formation » de 3 mois. Ils sont membres à part entière après 1 an. La plupart des artisans n’ont pas d’activité agricole complémentaire.
Le staff est composé d’une personne en charge de l’administratif (salaires, fixation des prix,…) et d’un « président » de la communauté. Celui-ci est élu pour 5 ans. Il est en charge des forums matinaux (voir plus loin), des horaires, de la gestion des membres et leur évaluation, des questions logistiques.
Les travailleurs sont répartis en sous-groupes dotés d’un(e) responsable, selon les étapes de réalisation d’un produit (coupe et mise en forme, peinture, emballage, etc). Les producteurs sont associés, à tour de rôle, à la gestion et à la comptabilité.

Quelques aspects de leurs pratiques de commerce équitable

Les salaires sont supérieurs à la plupart des autres ateliers d’artisanat de la région, mais restent néanmoins moyens. Faute de ventes suffisantes, ils ne peuvent relever davantage les salaires aux producteurs, qui atteignent le minimum légal régional (chose rare dans les secteurs informels), ni augmenter les avantages sociaux proposés. Néanmoins, le salaire comprend une prime pour la scolarité des enfants, la contribution à une assurance soins de santé, caisse de pension et à un fonds commun pour les plus pauvres.
Dans la culture indonésienne comme dans beaucoup d’autres, la femme garde dans les faits une place inférieure. Chez Alura Amara, il n’y a aucune discrimination, ni dans les droits (parfaitement égaux entre hommes et femmes) ni dans les tâches effectuées. Fait rare, les femmes y ont par exemple un congé de maternité de 3 mois payés.
Alura Amara fournit beaucoup d’efforts pour respecter l’environnement (système récupération peintures, réutilisation des déchets de bois), même si subsiste un problème lié au type de peinture. Même s’ils respectent les normes en vigueur, ils aimeraient aller plus loin. Mais sachant que le consommateur n’est pas nécessairement prêt à payer le surcoût lié à l’utilisation de peintures plus écologiques (double du prix des peintures conventionnelles), qui doit supporter ce surcoût ? Une question qui se pose pour beaucoup de partenaires et sur d’autres aspects que les peintures…
Un projet de maraîchage a été lancé il y a quelques années. Un cultivateur est subsidié par la communauté pour produire du riz, qui est vendu à prix avantageux aux membres de la communauté.
Il y a une très grande volonté de participation démocratique et de rendre les membres plus indépendants et responsables. On constate une volonté forte de prise de conscience de la part des membres, d’une fierté de ce qu’ils font, d’une prise en main de leur vie et de leur organisation. Le fonctionnement en communauté est réel : grande consultation des membres, décisions prises en commun, forums matinaux…
Alura Amara contribue à « l’éducation citoyenne » des membres au travers du forum matinal. On y parle, par exemple, des élections, des enjeux de société, de politique internationale, du commerce équitable, etc.
Chaque journée débute par un « forum matinal » réunissant tout le monde, instance de planification, de régulation (parfois de sanction), d’information ainsi que lieu d’échange et de discussion.
Exemple d’un forum matinal
1. Prise des présences
2. Mises au point sur jour précédent (retards, nettoyage mal fait, erreurs, etc…)
3. Infos liées à l’activité (contacts avec les partenaires Nord, commandes, compte-rendu de réunions…)
4. Production : planning de la journée, évaluations
5. Discussions générales sur sujets divers : crise économique, situation en Palestine. Quelqu’un lit des articles de journaux puis discussions. On s’aide d’un dictionnaire pour expliquer mots difficiles. Lors de ma visite, un article sur l’éthique en entreprise, puis de là, une intéressante discussion sur ce qu’est une ONG !
6. Parfois, moments conviviaux (anniversaire d’un membre par ex)

L’avis d’Alura Amara sur les acteurs européens du commerce équitable

L’insertion dans le commerce équitable résulte du hasard des contacts et non d’une volonté initiale. Le premier contact a été FTO (Pays Bas). Le respect des principes équitables étant réel, Gepa (Allemagne), Oxfam-Australie, Equité (France), Claro (Suisse), Oxfam-Intermon (Espagne) et Oxfam-Magasins du monde sont par la suite devenus des partenaires. Etant donné qu’Alura Amara exporte 80% de sa production, leur viabilité reste trop dépendante aujourd’hui de ces acteurs.
Or, les relations avec certaines organisations sont décevantes, de l’aveu d’Harianto, un des fondateurs d’Alura Amara. Il est très amer et critique. Selon lui, les organisations importatrices donnent peu de retour sur les produits. On constate beaucoup d’incompréhension, une mauvaise communication, générant de l’inefficacité. C’est un phénomène qu’il observe depuis plusieurs années.
Les acteurs pré-cités, dont certains se trouvent depuis quelques années dans une situation économique difficile, laissent aujourd’hui trop souvent leurs partenaires dans l’ignorance sur les perspectives, la stratégie. Au final, cela devient pour Alura Amara une question de « chance ». Comme le souligne Harianto, « avec de la chance, on aura des contacts, on aura une commande. Non seulement ce n’est pas une manière de faire du business, mais en plus où est l’équitable quand on ne peut pas planifier, projeter, améliorer, etc. ? De même, avant d’avoir des exigences supplémentaires en terme de standards, les acteurs du Nord ne devraient-ils pas assurer d’abord une source de revenus réguliers, des commandes suffisantes, et début une mise en projet avec le partenaire ? J’ai plutôt l’impression de fonctionner au coup par coup, de manière permanente ». Un témoignage interpellant…

La parole aux artisans !

Lors de notre visite, nous avons longuement échangé avec les artisans sur un grand nombre de sujets. Notamment, voici quelques extraits des réponses des artisans à la question, « quelle différence cela fait pour vous de travailler pour Alura Amara ? »

  • « Avant je travaillais dans la construction. Le boss était un tyran. On ne pouvait pas s’exprimer librement sinon on était viré. Ici j’ai acquis l’indépendance, la dignité, je peux m’exprimer ».
  • « Cela m’aide à mieux structurer mes finances (comme le budget à la maison). Je reçois des conseils pour gérer mes dépenses, mes priorités ».
  • « Je suis plus digne grâce au travail. Les tâches que je fais ne sont pas trop exigeantes. On ne doit pas me forcer à travailler, me mettre sous pression, je le fais de manière automatique et heureuse car je me sens bien dans mon travail ».
  • « Le travail est proche de ma maison, je peux rentrer facilement »
  • « On m’apprend une certaine discipline. C’est un gros changement ! Petit à petit, cela m’aide dans ma vie quotidienne, avec mon épouse et mes enfants »

Un artisan s’est dit « impressionné par l’esprit du volontariat chez vous, par les campagnes que vous faites. J’espère que cet esprit pourra nous inspirer ici ». Parmi les questions et débats, des questions comme «Oxfam est-il indépendant du politique ? », « Quelle est votre position sur le conflit israelo palestinien ? » (l’Indonésie est un pays largement musulman). Mais aussi, beaucoup de questions sur le futur de notre relation de partenariat et sur leurs produits « que pensez-vous de nos produits ? vos clients les apprécient-ils ?», « que fait Oxfam pour nous donner plus de travail, de commandes ? », « ne pourrait-on pas développer pour vous de nouveaux produits ? », etc.
A noter, pour l’anecdote, cette savoureuse intervention d’un jeune artisan, qui fera sourire plus d’un(e) bénévole : « Je me pose une question… si vos membres sont bénévoles pour OMM, mais quand trouvent-ils le temps de travailler ». Avant d’ajouter « Et quand un bénévole veut un produit, il l’achète ou il l’a gratuitement ?».
Jérome Chaplier
Directeur Politique-Education-Mobilisation
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